Yuki Kitazumi, force et délicatesse
Il y a quelques semaines, j’ai proposé à Yuki Kitazumi d’exposer ses œuvres à Paris en compagnie de cinq autres artistes. Après de nombreuses expositions à Tokyo et des illustrations souvent récompensées au Japon, ses dessins restent peu connus en France. Avant de les découvrir à partir du 9 mars prochain à la galerie Treize-Dix dans le cadre de l'exposition Autre Je dont j'assure le commissariat, voici un avant-goût d’un travail plein de poésie et de force.
Quand avez-vous décidé de devenir illustratrice ?
J’ai su que le métier d’illustrateur existait à l’âge de 12-13 ans et je rêvais de le devenir. J’ai commencé à travailler comme illustratrice vers mes 27 ans.
Camping, Yuki Kitazumi
Dessiniez-vous beaucoup quand vous étiez enfant ?
J’aimais beaucoup dessiner, comme la plupart des enfants. Des personnes, notamment. Je m’intéressais aussi aux vêtements, aux sacs... mais je n'ai jamais souhaité devenir illustratrice de mode.
A l’université, certains de vos professeurs ont-ils joué un rôle important pour vous ?
J’avais besoin de professeurs dont je puisse apprendre et connaître l’influence et deux d’entre eux ont plus particulièrement joué ce rôle : Setsu Nagasawa et Toru Minegishi.
Setsu Nagasawa (1917-1999) fut un des plus grands illustrateurs de mode japonais. Il fonda et dirigea le Setsu Mode Seminar où se formèrent les plus grands créateurs de mode japonais (Rei Kawabuko, Kenzo Takada, Sachiko Hanai...) et nombre d’illustrateurs de mode…
Illustrateur, Toru Minegishi a suivi le Setsu Mode Seminar avant d’y donner des conférences. Il a participé à la création, en 1978, de la Tokyo Illustrator’s Society dont Yuki est membre puis a créé en 2005 la MJ Illustrations, école de formation des illustrateurs dont elle souligne l'importance dans son évolution artistique.
Quels artistes vous inspirent ?
Keisuke Serizawa (1895-1984)
Il y en a beaucoup, japonais ou non ! Parmi les japonais, je pourrais citer Keisuke Serizawa, les estampes de Kuniyoshi Utagawa (une grande exposition lui a été consacrée au musée du Petit Palais en 2015 NDLR). J’aime beaucoup Yosuke Yamaguchi et Takeshi Motai et me sens proche d’artistes comme Peter Doig, Jockum Nordstrom, Henry Darger, Marie Hall Ets, Balthus …
Jockum Nordström (né en 1963)
A propos de Keisuke Serizawa (1895-1984), grand maître des katazome, utilisez-vous des techniques traditionnelles dans votre travail ? Le papier me semble y tenir une place importante.
Je n’utilise pas de technique d’« Art and crafts » dans mes dessins, qui sont plus bruts, techniquement moins travaillés, mais je me sens proche de l’art de Serizawa. J’aime le papier, tout en utilisant le collage avec mesure.
Keisuke Serizawa (1895-1984)
Une poésie surgie de l’enfance se dégage de vos œuvres mais aussi quelque-chose d’un peu inquiétant qui me fait penser à Darger ou même Jockum Nordstrom que vous évoquez comme influence.
Je m'inspire notamment des vieux magazines, comme les National Geographic des années 50-60 dont j’ai acheté de nombreux exemplaires dans des magasins de seconde main. Bien que je n’aie pas été dans les lieux photographiés, les paysages et les personnes composent de très belles images qui suscitent de nombreux sentiments. Ils dépeignent un monde en apparence apaisé, alors qu’il me semble aussi plein d’anxiété et d’impatience. J’aime exprimer cette ambivalence.
Disaster, Yuki Kitazumi
Qui sont vos clients ? Pouvez-vous nous montrer quelques-uns de vos travaux ?
Je travaille pour de nombreux éditeurs japonais et groupe de presse: Shinchosha, Iwanamisyoten, Koudansha, Futabasha, Kyodotsushin, Madame Figaro…
Couverture de livre pour les édition Shinchosha, 2015
Pouvez-vous nous parler des illustrations que vous avez réalisées sur Marie Curie ?
Il y a un an, j’ai réalisé des œuvres pour une exposition organisée à Tokyo consacrée à Marie Curie. Ce n’est pas seulement le prix Nobel qui m’intéressait, mais aussi le fait qu’elle travaillait comme une artiste dans ses recherches. Je voulais aussi m’exprimer sur le sujet de l’exposition à la radioactivité. Un livre réunit les dessins exposés lors de cet événement.
Quelle est votre opinion sur le nucléaire ? Est-ce un sujet dont les japonais parlent facilement que ce soit à travers Fukushima ou Hiroshima ?
Il me semble que les japonais sont déja passés à autre chose, six ans après la catastrophe de Fukushima. Ils souhaitent oublier ce qui s’y est passé, mais que l’on oublie ou non, la radioactivité – elle – ne disparaît pas. Je pense beaucoup aux déchets radioactifs et à l’exposition aux radiations. Je l’exprime notamment à travers mon journal. De la nourriture polluée circule dans tout le Japon maintenant, de même que l’eau, l’air, les semences et même la poussière sont touchés par ce fléau. Nous manquons d’information sur les risques que cela engendre sur la santé, même à faible dose d’exposition. Les dommages causés par les bombes atomiques lancés sur Hiroshima et Nagasaki sont un secret encore bien gardé. Or, nous avons besoin de savoir. Je pense que les usines nucléaires sont mainenues pour d’autres raisons que la seule production d’énergie.
Une dose de radiation de 0.25 microsievert a été observée dans une école élémentaire à Tokyo. A la suite de cela, on a observé une augmentation des maladies à l’hôpital universitaire de Juntendo entre 2011 et 2013 (extrait du journal de Yuki)
Pouvez-vous me parlez de deux de vos dessins ?
Dans Stair, j’ai dessiné un escalier qui descend vers la station Nogizaka à Tokyo. Je me suis intéressée à la façon dont les gens apparaissent puis s’effacent dans ce lieu.
Seaside est un paysage de la côte d’Izu (une ville de la Préfecture de Shizuoka) où habite ma mère. Toute une variété de créatures vit dans la mer et ça me plait beaucoup.Ces deux dessins ont gagné une récompense de la Tokyo Illustration's Society.
Propos recueillis par Axelle Viannay.
Pour mieux découvrir l’œuvre de Yuki Kitazumi, rendez-vous à l'exposition Autre Je qui se tiendra à la galerie Treize-Dix, 13 rue Taylor à Paris, à partir du 9 mars 2017.