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Lisa Zordan, fantasmagorie naturaliste



Parallèlement à ses ilustrations, Lisa Zordan mène un travail d’auteure de roman graphique et de dessin contemporain qui compose, au fil de ses oeuvres, un univers fantasmagorique, au symbolisme naturaliste.


Emue par la beauté et la force de ses dessins, je lui ai proposé de participer à l'exposition Autre Je qui démarrera bientôt à la galerie Treize-Dix en compagnie de Taku Bannai, Yuki Kitazumi, Anne Gorouben, Moonassi et Sarah Beth Schneider.


Dessinais-tu quand tu étais enfant ?


J’ai toujours dessiné car c’était pour moi un moyen de m’exprimer, et sans doute le plus naturel. En maternelle, la maîtresse nous a fait écouter L’oiseau de feu de Stravinski et cela a fait naître en moi l’envie de raconter des histoires. Parmi mes autres souvenirs d’enfance liés au dessin, je me rappelle que ma mère peignait des dragons chinois durant ses insomnies.


Série Face à face


On dessinait dans ta famille ?


Ma mère, donc mais aussi ma grand-mère paternelle et son père, mon arrière-grand-père qui envoyait des dessins à sa femme lorsqu’il était mobilisé en 1940 et dont il nous reste quelques rares documents.


Dessin de l'arrière grand père de Lisa, mars 1940

Mon frère dessinait très bien également et avait été contacté par Anne Ikhlef (illustratrice et auteure de livre pour enfants NDLR), alors qu’il était encore à l’école primaire, pour illustrer un livre qu’elle écrivait. Il m’a présentée Anne qui m’a prise d’affection et a ensuite souhaité travailler avec moi. Elle habitait seule dans une maison au milieu de la forêt où j’allais lui rendre visite. Ce projet ne s’est pas fait, finalement, mais je pense que cette rencontre a marqué mon enfance de bien des manières.


Quel est ton parcours ?

The rooms


Après le bac, j’ai étudié l’illustration au lycée Corvisart pendant un an et y ai rencontré les illustrateurs Laurent Corvaisier, Emmanuel Kerner et Guillaume Dumont qui m’ont incitée à tenter le concours des Arts-Déco. Les années passées dans cette école ont été constructives et même si par moment on nous a poussés à dépasser nos limites, ça m'a permis de savoir ce que je voulais faire par la suite.


Série Face à face


Quelle section as-tu suivi à l’ENSAD ?

J’y ai suivi la section Image imprimée. Parmi les cours qui m’ont marquée, je citerais le cours "Les Illustrés" - présenté par un fantastique duo - Pierre Alféri et Paul Sztulman – qui m’ont permis de faire évoluer mon regard sur la bande dessinée, en me faisant notamment redécouvrir des auteurs comme Chris Ware. J'ai également fait la rencontre déterminante de Serge Bloch qui dispensait le cours de dessin de presse. C’est lui qui a parlé de moi à Michel Lagarde.



Michel a publié ton premier roman graphique, Pieds nus dans les ronces. Que peux-tu nous en dire ?


Mon premier et pour l’instant unique roman graphique. Comme pour beaucoup d’auteurs, j’ai eu l’impression de tout y mettre, de m’en être servi comme une sorte d’exutoire. Le récit n’y est pas complètement autobiographique mais beaucoup de moi y figure. Des traumatismes d'enfance étaient encore très vivaces et je devais faire le deuil de plusieurs choses. La maison de mes grands-parents où je passais mes vacances en Normandie, dont le souvenir est évoqué dans mon roman, a été vendue au moment où j’écrivais le livre.


Image issue de Pieds nus dans les ronces


Je sais que tu préfères t’exprimer par le dessin que par les mots mais que pourrais-tu dire sur tes œuvres ?


Je représente très rarement des choses fabriquées et leur préfère l’expression du rapport entre l’homme et la nature. Je dénude souvent mes personnages pour mettre en valeur la fragilité du corps et la finitude de tout être vivant. J’apprécie aussi l’étrangeté, les ambiances inquiétantes qui n’ont pourtant rien d’effrayant au premier abord, comme dans les peintures de George Tooker. J’aime que mes dessins laissent la place libre à l’imaginaire de ceux qui les regardent.


Dessin issu de Triptyque in the wood


Tu cites George Tooker. D’autres artistes t’ont-ils influencée ?


Vers l’âge de 10-11 ans, j’avais eu – sans m’en rendre véritablement compte – un premier contact avec la scène graphique alternative en lisant des comics de Stéphane Blanquet dans un magazine pour enfant (l'histoire s'appelait « amour intérieur »).


Stéphane Blanquet


Je ne savais évidemment pas qui il était mais j’ai gardé précieusement les pages de la revue (quelque chose comme Spirou) dont elles étaient issues. J’ai laissé ça dans un coin de ma tête…


Ludovic Debeurme, Le grand autre, éditions Cornélius


Au lycée, je lisais beaucoup de mangas et appréciais l'illustration, mais un jour sur les conseils d’un ami qui m’a mis un livre de Ludovic Debeurme entre les mains, je me suis rendu compte que faire de la bd pouvait être synonyme de liberté narrative et graphique.


Et quelques années après, tu as évoqué ce souvenir avec Stéphane à la soirée de lancement de sa nouvelle maison d’édition Les crocs électriques où nous étions samedi ensemble…

Oui, c’était amusant. J’admire beaucoup son travail artistique et éditorial.

Fertilité


Je pourrais également citer Peter Doig, que j’ai découvert au Musée d’art moderne, Paul Jacoulet ou encore Paul Delvaux, Spillaert… Il y a des photographes aussi : Gregory Crewdson, Rinko Kawauchi…


Paul Jacoulet, Nuit de neige

Quels sont tes projets professionnels en ce moment et pour l'avenir?


Plusieurs travaux d’illustration, avec la parution imminente d’un livre (Apprendre à méditer) chez Actes Sud avec Youki Vattier, un livre jeunesse sur lequel je travaille en collaboration avec l'auteur Didier Levy pour les éditions sarbacane (sortie prévue pour 2018) et un autre en développement avec l'auteur et dessinateur Fred Bernard. Je commence aussi à réfléchir à nouveau roman graphique de science-fiction. Cette phase d’écriture est particulièrement passionnante !


Propos recueillis par Axelle Viannay


Pour découvrir les œuvres de Lisa Zordan, rendez-vous à la galerie Treize-Dix, 13 rue Taylor, 75010 Paris.Exposition Autre Je, avec Lisa Zordan, Anne Gorouben, Taku Bannai, Yuki Kitazumi, Moonassi et Sarah Beth Schneider sous le commissariat d'Axelle Viannay, du 9 mars au 1er avril 2017.

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