Aristide Maillol. Le dessin à la recherche de la forme idéale
Entretien avec Ophélie Ferlier-Bouat, co-commissaire de l'exposition et directrice du Musée Bourdelle
En 2013, la Fondation Dina Vierny acquiert aux enchères une quarantaine de carnets de dessins d’Aristide Maillol trouvés dans le coffre de feue la maîtresse de son fils Lucien. Ils constituent une clé de lecture exceptionnelle de l’œuvre de l’artiste qui, avant de devenir sculpteur, fut un peintre amoureux des arts décoratifs. Le musée d’Orsay lui consacre une passionnante exposition qui éclaire sous un jour nouveau, l’œuvre de l’artiste catalan. Je remercie Ophélie Ferlier-Bouat pour le riche entretien qu'elle m'a accordé.
Les expositions du musée d’Orsay sur des artistes du 20ème siècle abordent leur carrière par le prisme du 19ème siècle dont ils sont issus, un angle de vue très riche en enseignements.
Maillol est né en 1861. Il a donc 39 ans quand arrive le nouveau siècle. Sa première sculpture de grande dimension – la future Méditerranée - est présentée au Salon d’automne de 1905. Avant cette date clé qui marque la reconnaissance de Maillol sculpteur, 44 ans de sa vie se sont donc écoulés au cours desquels il s’est illustré aussi bien comme peintre que dans les arts décoratifs.
Méditerranée, 1905 (modèle en plâtre) ; 1923 -1927 (marbre), Marbre, Paris, musée d’Orsay
Maillol est, dites-vous, d’abord un peintre.
Quand Maillol arrive à Paris en 1882, il étudie dans l’atelier du peintre Alexandre Cabanel avant de rentrer aux Beaux-Arts trois ans plus tard. Il découvre l’art de Puvis de Chavannes, qui devient sa figure tutélaire. Sa peinture est alors dépourvue de perspective linéaire, avec un goût prononcé pour les contours, les aplats de couleur et les effets décoratifs.
La couronne de fleurs, Aristide Maillol, 1889, huile sur toile, 49,5 x 64,5 cm, Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek
Sa pratique des arts décoratifs est diverse et féconde : broderie, céramique…
La broderie est l’une des grandes passions de Maillol ! Il ouvre un atelier à Banyuls entre 1890 et 1904. C’est à cette occasion qu’il embauche comme ouvrière la jeune Clotilde, qui devient bientôt son modèle et sa femme. Maillol s’intéresse alors aussi à la céramique et à la taille du bois. La dimension décorative est un fil conducteur de toute sa carrière, jusqu’à sa sculpture, faite pour s’insérer dans un cadre, de préférence en plein air dans un jardin.
Maillol ne dresse aucune barrière entre arts plastiques et arts décoratifs.
Le milieu dans lequel il évolue est favorable à cette perméabilité entre les différentes disciplines. Grâce à son ami Georges-Daniel de Monfreid, Maillol rencontre Gauguin dont on connaît la diversité des pratiques artistiques et la simplicité avec laquelle il les aborde. Sans formation académique dans des disciplines telles que la taille du bois, la céramique ou la gravure, l’approche du matériau est plus simple et plus directe.
Léda et le cygne, Aristide Maillol, vers 1907, Faïence, H. 53 cm, Paris, collection Larock-Granoff
A ce propos, qu’en est-il de sa formation ? Maurice Denis évoquait à son propos une « gaucherie instinctive ». Il a pourtant fréquenté l’école des Beaux-Arts.
Comme plein d’artistes de son époque à l’image de Gauguin, Maillol se veut autodidacte. Il fréquente pourtant l’école des Beaux-Arts en pointillé, pendant presque dix ans. Affirmer que cette formation ne lui aurait rien apporté est évidemment faux, ne serait-ce que par les amitiés qu’il a pu y nouer, par exemple dans l’atelier de Jean-Paul Laurens avec le peintre écossais James Pitcairn-Knowles, grâce auquel il rencontre József Rippl-Rónai, qui l’introduit à son tour dans le cercle des nabis. Cela l’a aussi aidé à définir en creux la voie qu’il ne souhaitait pas emprunter, celle d’une technique trop aboutie qui l’empêcherait d’exprimer son âme profonde d’artiste. Quand il commence la sculpture, il les bâtit comme des cruches, sans armatures. Elles s’écroulent, évidemment ; nous n’en avons d’ailleurs plus de trace. Il nourrit une profonde jubilation à réinventer, au diable les techniques !
József Rippl-Rónai, Aristide Maillol, 1899, huile sur toile, 100 x 74,7 cm, Paris, musée d’Orsay
Comment passe-t-il des aplats colorés de ses peintures et broderies à la sculpture ?
Maillol aborde d’abord la taille du bois, un matériau vivant et simple qu’il prend plaisir à travailler en ronde-bosse ou en trois dimensions. Il se fait prêter des outils par son beau-frère et se lance, semble-t-il selon la légende, dans un vieux poirier débité. A cette époque, il commence aussi à modeler la terre pour s’occuper les mains dans l’atelier de broderie. La découverte du modelage et sa rencontre avec Clotilde aboutissent naturellement à la sculpture. Ses premiers modelages ont encore la rigidité des bois sculptés, mais il s’en émancipe très vite.
La Vague,dit aussi La Baigneuse, 1896, Broderie à l’aiguille au point lancé, Fondation Dina Vierny
Femme au bain, 1896, haut-relief en plâtre, Musée d’Orsay
Une anecdote racontée par son mécène le comte Kessler dans son journal intime montre un artiste à l’esprit toujours en éveil.
En 1904, Maillol se trouve à Paris à l’hôtel Chatham avec Kessler, qui lui a commandé la sculpture qui deviendra Méditerranée. Avec son ongle, il dessine un croquis sur une nappe pour cette sculpture de femme assise à laquelle il pense depuis 1900 environ. Pour ne pas perdre l’esquisse, il se fait apporter un calque, que l’on peut voir dans l’exposition. Même si la position des bras n’est pas encore aboutie, c’est le point de départ de la sculpture monumentale de Maillol.
Méditerranée, étude 1904, Fusain sur calque, Winterthur, Kunst Museum, Fondation Oskar Reinhart
Le dessin est complètement indissociable de son travail.
C’est, en effet, un maillon indispensable de sa recherche de la forme idéale. Maillol est un amoureux de formes et il conçoit le corps comme une architecture. Le dessin lui permet de comprendre le modèle : l’attache des membres, la physionomie, pourquoi un creux apparaît dans certaines positions... Une fois qu’il en a compris l’essence, il laisse parfois reposer de longues années avant de créer une œuvre, où s’agrègent différents modèles. Maillol ne casse pas le lien avec la vraisemblance anatomique, mais sa sculpture n’est pas naturaliste. Un modèle n’est jamais reproduit fidèlement.
Dans sa quête de l’harmonie, Maillol aspire à un épurement des formes. C’est un figuratif qui tend vers une forme d’abstraction en s’abstrayant de toute anecdote.
Maillol est un homme né au 19ème siècle qui n’abandonne pas le corps humain tout en ouvrant une voie possible pour certains sculpteurs de la modernité comme Henry Moore. Il ne se percevait pas de son époque, mais beaucoup de ses contemporains – André Gide ou Maurice Denis par exemple - l’ont placé dans la modernité. Dans son Histoire de l’évolution de l’art moderne, Julius Meier-Graefe identifie sa sculpture Femme accroupie comme le début d’une forme de modernité.
Les dessins de Maillol représentent un très important corpus.
C’est un puits sans fond ! Maillol dessine tout le temps sur toutes sortes de supports, y compris des papiers d’emballage. Un peu d’après modèle, mais surtout de mémoire, fidèle à cet égard aux méthodes d’apprentissage promues au 19ème siècle par Horace de Boisbaudran. Sa production est extrêmement diverse. Certains dessins relèvent du croquis rapide – comme une idée jetée sur le papier – d’autres plus aboutis, une étape avant la sculpture. Certains dessins sont même réalisés après. La création, chez Maillol, est en perpétuelle évolution.
Le Dos de Thérèse, vers 1920, Fusain sur papier à la forme filigrané, 73 x 55 cm, Fondation Dina Vierny
Le dessin est une clé de lecture d’autant plus intéressante que les sources écrites sont peu nombreuses.
Les sources les plus fiables sont le journal intime de Kessler, les Conversations de Maillol d’Henri Frère et le film réalisé par Jean Lods en 1942. D’écrits personnels de Maillol, nous ne connaissons que des lettres, notamment à Bourdelle ou Maurice Denis. Les carnets de dessin nous ont donc beaucoup aidés à comprendre le travail de Maillol et à faire évoluer notre connaissance, notamment sur le temps d’élaboration de l’œuvre. Nous avons ainsi trouvé des dessins antérieurs de cinq à dix ans à la réalisation d’une sculpture ! Les techniques sont très diverses, dépendant souvent de l’intention donnée au dessin. Le fusain et la sanguine sont réservés à ses plus beaux dessins, notamment de grandes feuilles réalisées à partir de 1920. La plume, sur une période assez restreinte, quand il travaille sur l’Action enchaînée. Le graphite, pour des annotations de position, le nom du modèle…
Extraits du film Aristide Maillol, sculpteur par Jean Lods, 22 minutes
Les annotations figurant sur ses carnets donnent de nombreux renseignements sur sa vie.
Le nombre d’informations y est très riche : des noms parfois très connus comme Renoir, des adresses de modèles, de mécènes, des numéros de téléphone, des noms d’hôtels. Ses carnets, qui sont au départ de grands formats, rapetissent au fur et à mesure des années, jusqu’à tenir dans une poche. Il y a encore beaucoup à étudier et découvrir dans ces carnets.
Études pour le Monument à Cézanne, 1907-1908, Carnet de croquis, graphite sur papier, Fondation Dina Vierny
Je voudrais terminer cet entretien par l’évocation de Dina Vierny, sa dernière muse qui n’eut de cesse de promouvoir son œuvre après la mort de l’artiste en 1944.
La renommée de Maillol est indissociable de Dina Vierny, légataire universelle de ses œuvres à la mort de son fils, Lucien Maillol. En faisant don à l’Etat français de sculptures installées en 1964 dans le Jardin du Carrousel, elle a assuré la postérité de l’artiste. Fait moins connu, elle a fait don de dessins à tous les grands musées du monde. C’est aujourd’hui son fils, Olivier Lorquin qui poursuit cet inlassable travail de valorisation de l’œuvre de Maillol.
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